Histoire, mythes, sociologie
Préface Danièle Juette
Grand Maître de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain
Pourquoi la mixité maçonnique est-elle si difficile à dire, à partager et à vivre ? Des Francs Maçons ont fait le choix d’une obédience mixte, ils ont pris cette option comme quelque chose qui va de soi et qui s’est imposé à eux, parce qu’elle correspond à la réalité de la vie. D’autres ont fait des choix différents : celui d’une obédience mono-genre, au mieux, ils se satisfont de l’existence d’obédiences mixtes qui viennent compléter l’offre proposée aux profanes qui frappent à la porte du temple, au pire, la représentation qu’ils s’en font les incite à considérer ce modèle avec circonspection, ils se le représentent comme une modalité qui va semer d’embûches, la progression initiatique, des embûches inutiles, insurmontables, ou non signifiantes au regard de la tradition, ou bien encore, comme un vécu qui va altérer la lisibilité du chemin qui se dessine et qui a pour but de les conduire à la lumière du Delta.
Extrait de la préface
L’approche historique développée par Brigitte Castella permet d’éclairer le contexte et le projet des fondateurs de la première obédience mixte de la Franc-maçonnerie et de mettre en évidence sa modernité. En effet, à la fin du XIXe siècle, la Franc-maçonnerie, très engagée dans la promulgation des Droits de l’homme et du citoyen, est masculine. Les frères demeuraient dans l’esprit de 1789 : l’homme universel, le citoyen était l’être humain masculin exclusivement. Il faut souligner que parmi les grands hommes de la révolution, seul, Condorcet s’est ému au regard de l’exclusion des femmes de la vie de la cité. Il dénonçait ainsi dans un article, publié en 1788, le comportement des hommes : « Tous n’ont-ils pas violé le principe d’égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois. »
C’est dans ce sens que nos fondateurs, Maria Deraismes et Georges Martin, soutenus par des frères, se sont battus pour l’initiation maçonnique des femmes. Mais face à la forte résistance des obédiences,après l’initiation de Maria Deraismes en 1882, ils décident tous les deux de créer une loge mixte le 4 avril 1893 qui deviendra l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain. Cette loge s’est voulue d’emblée ouverte à tous sans distinction de sexe, d’ethnie, de religion ou de philosophie.
Elle est née de l’affirmation que la femme et l’homme doivent s’émanciper ensemble et vivre cette émancipation dans la mixité. Il ne s’agissait pas seulement d’une mixité numérique mais beaucoup plus d’une mixité profonde allant consciencieusement et courageusement au coeur des choses à transformer, et c’est ainsi qu’ils élevèrent sans ambiguïté ni hypocrisie la mixité au rang des droits humains. La création de cette loge a été un moteur du mouvement qui a abouti à l’acceptation de l’initiation des femmes même chez les plus réticents des frères. Mais par contre, la mixité a d’emblée été rejetée par ces mêmes frères qui ont alors créé des loges féminines d’adoption qui donneront naissance à la Grande Loge Féminine de France en 1945…
…Il semble bien que l’idéal n’est pas le face à face de revendications masculines ou féminines mais plutôt de reconnaître dans la différence des sexes l’origine de la diversité humaine et de fonder sur elle l’exigence de nouveaux partages, comme l’écrit Marc Olivier Padis : « la revendication de l’égalité sociale a entraîné une réorganisation inachevée de la répartition des tâches entre les sexes. Elle a aussi produit une nouvelle figure de l’égalité : la mixité. Parce qu’elle affirme le principe de la fin de la spécialisation des sphères d’activité par genre, la mixité suppose l’invention et l’observation de nouvelles règles de comportement : non discrimination, respect, dialogue. »
Il importe de toujours tenter de comprendre ce qui nourrit ce mouvement et ce qui lui donne sa dynamique propre.
Danièle Juette
Grand Maître de l’Ordre Maçonnique Mixte International Le Droit Humain »
Sommaire
Le contenu historique de la mixité
1- L’événement fondateur, une nécessaire transgression
2- Pourquoi le choix d’ateliers mixtes plutôt que celui d’ateliers féminins ?
3- De quelle mixité parle-t-on ?
4- Une Franc-maçonnerie mixte pour établir l’homme et la femme à égalité de droits, civils, juridiques, professionnels, éducatifs, conjugaux.
5- Une Franc-maçonnerie mixte, qui s’appuie sur la laïcité
6- Une Franc-maçonnerie mixte, internationale, et pacifiste
7- Une mixité, non à la différence, mais de l’universel
8- Une Franc-maçonnerie mixte et les mots pour la dire
Le Banquet ou que nos désirs se tournent vers la lumière
1- Comment le mythe éclaire le vécu initiatique mixte
2- Éros ou le désir terrestre et céleste
3- L’androgyne ou le désir comme attirance
4- Poros et Penia ou le désir comme manque
5- Et Platon créa Diotime
6- Le désir comme animant le vivant
7- Le désir, entre souffrance du manque et aspiration à la plénitude
8- Le désir, comme aspiration à la liberté
9- L’androgyne et comment le deux engendra le monde tel qu’il est
10- Le masculin et le féminin comme principes
11- Le masculin et le féminin comme forces en mouvement
12- Allez vous plus loin, interrogez-moi
13- Le masculin et le féminin comme force d’enfantement
Une tenue mixte, laboratoire de société
1- I have a dream
2- La mixité en loge ou l’apprentissage de la liberté
3- La mixité en loge ou l’apprentissage de l’égalité
4- La mixité en Loge ou l’apprentissage de la fraternité
Ne pas conclure, pour que tout reste ouvert
Biographie
Diplômée en Sciences de l’Education, Brigitte Castella s’est particulièrement intéressée à ce que les humains mettent en oeuvre quand ils sont engagés dans une démarche et un processus de transmission des savoirs et des connaissances, dans tous leurs états. Continuer au dehors l’oeuvre commencée dans le temple, c’est affiner ses outils et ses instruments aux flammes de l’initiation, mais c’est aussi interroger l’initiatique avec les questions qui animent et bousculent le monde, en ayant recours aux modèles que proposent les Sciences Humaines.
Dans cet essai, Brigitte Castella, appartenant au Droit Humain depuis plus de 30 ans, s’est servie de trois entrées : elle aborde d’abord la question en interrogeant l’histoire des origines de la mixité maçonnique, elle fait ensuite un détour par les mythes, ceux-ci vont permettre d’approcher ce qui se joue dans les tenues, quand les principes masculin et féminin s’incarnent dans des hommes et des femmes devenus des Frères et des Soeurs, enfin, prenant appui sur les études du genre et la sociologie, elle présente les loges mixtes comme des laboratoires d’une sociabilité nouvelle, notre société n’en finit pas de se questionner sur les relations entre les hommes et les femmes, le vécu maçonnique mixte construit des réponses spécifiques qui peuvent être proposées au monde.