Il fallait bien qu'un jour l'histoire des origines de la franc-maçonnerie en Écosse, en Angleterre et en France sorte du domaine du mythe ou du fantasme pour s'inscrire dans le quotidien de la conquête du pouvoir politique et religieux dans l'Angleterre du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle. Et démontrer qu'à l'origine l'initié écossais, qui peut du reste être breton ou français, est un conjuré jacobite aux seuls motifs opportunistes, œuvrant pour la restauration des Stuart sur le trône d'Angleterre. Quant à la franc-maçonnerie anglaise, elle n'apparaît au tournant du siècle que pour faire pièce et, n'en déplaise aux fables andersoniennes, une des plus remarquables manipulations historiques jamais enregistrée, et qui jouit toujours d'une postérité vivace, son œcuménisme affiché masque nombre d'arrière-pensées très politiques. Il convient, en conséquence, de réécrire dictionnaires et encyclopédies, et de donner à " L'Art Royal " une acception inédite, car force est de constater qu'il n'existe aucune liaison entre de supposés maçons " opératifs " et quelques " spéculatifs " venus les phagocyter. Sans doute est-il moins glorieux pour l'Ordre maçonnique en général et pour les différents rites dits " écossais " de compter comme seuls ancêtres directs des activistes politiques antagonistes, plutôt que comme d'hypothétiques intellectuels branchés qui se seraient frottés à d'honorables tailleurs de pierre épris de symbolisme, mais les résultats de la recherche menée par André Kervella ne laissent aucun interstice où pourrait s'infiltrer la fable. (Daniel Kerjan)